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  • Вацуро В. Э.: С. Д. П. Из истории литературного быта пушкинской поры
    Дневник Сомова О.М.

    ДНЕВНИК О. СОМОВА

    J’ aurais payé de mon existence si j’avais pu être heureux avec elle une seule fois dans ma vie: oui, je le jure même à prèsent, quand je veux l’oublier, que si on me disait: tu seras comblé de ses faveurs, mais tu seras mort une heure après par le plus cruel des supplices, — je n’aurais point hésité. Elle a beau prêcher contre l’amour sensuel et pour l’amour platonique: elle n’est point faite pour ce dernier. Ces regards provoquants, cette haleine qui respire le plaisir, ces attitudes, ces gestes involontaires si voluptueux, si propres à inspirer et à exciter un amant passionné, ces demi-mots qui entre’ouvrent le paradis; tout cela n’est pas en harmonie avec cette chaleur douce et monotone qu’exige un amour platonique.

    Depuis ce temps-l à elle a changé totalement sa conduite à mon égard. Elle me boudait, elle me reprochait même le désir d’être heureux pendant ce fatal tête-à-tête. J’ai vu alors son triomphe et ma défaite; j’at vu que je perdais dans son opinion et qu’elle voulait se prévaloir de l’ombre de faveur qu’elle m’avait une fois accordée. Enfin, donnant la préférence à mes yeux tantôt à celui-là, tantôt à cet autre, elle avait cru me blesser, m’outrager par ses démar-ches. Parlant sans cesse à l’ècart aux autres, elle n’a pas voulu me laisser dire deux mots de suite; si je me trouvais seul avec elle, elle affectait une hauteur et une espèce de mépris, dont elle voulait sans doute m’accabler. Elle s’y trompe: je suis le premier à reconnaître mon peu de mérite; et surtout j’étu-diais bien mon extérieur simple et bénin, que je n’ai jamais pris la peine de composer. Et dernièrement, sachant que je suis venu, elle envoyait sa fille de chambre, tantôt pour prendre un livre, tantôt pour lui apporter un coussin ce qui voulait dire d’une maniére très visible: je sais que tu est là, mais je veux te mortifier, te outrager… Et pourquoi? pour un vain caprice… Oh! cela n’a pas de nom… Mes resolutions sont prises: adieu, Madame! j’ai vingt huit ans et je suis déjà las d’être le jouet de vos fantaisies; il est temps d e se reposer un peu.

    à 3 heures après midi.

    ’est une preuve qu’elle me méprise; mais pourquoi y mêler encore ce persiflage amer qu’elle me fait essayer. Elle m’envoie dire par sa femme de chambre que c’est une honte de m’en aller, et si j’ai un billet pour elle, que je la remette par cette fille. C’est donc de mes lettres qu’on a besoin, et non pas de celui qui les a écrites; on en fera une lecture agréable à quelqu’un plus heureux que moi! Néanmoins je me suis soumis à cette nouvelle humiliation, j’ai remis le billet et le dicton que j’ai préparé pour elle, et n’ai rien dit à la fille et je suis parti. Mon cœur était navré, ma tête prête à se fendre; je n’ai jamais éprouvé un si grand tintement dans les tempes; j’étais prêt à tomber en défaillance. J’ai marché toujours: j’ai oublié qu’il existe des bateaux sur la Neva, de sorte qu’au sortir de ma rêverie je me suis trouvé au pont de la Trinité. Je me suis glissé le long du jardin sans me laisser apercevoir, ma lheureusement Pletneff et sa femme m’ont reconnu: j’ai d û faire un tour avec eux. En passant près d’un banc j’ai remarqué son père, et quelqu’indisposé que j’eus été à rencontrer tout ce qui la rappelle, j’ai pour-tant salué bien respectueusement ce bon viellard.

    é chez moi, par mouvement involontaire dont je ne peux pas me rendre compte à moi-même, j’ai cherché mes pistolets, que je n’ai pas pris depuis l’affaire de S… Je n’ai pas voulu certainement me brûler la cervelle: mais pourquoi ces pistolets, cette poudre et balles? Encore un moment, avec mon caractère propre à s’enflammer, et peut-être s’en était fait. Le bon viellard Schubnikoff m’apporta les mouchoirs que la blanchisseuse lui a laissé en mon abscence; il a vu les pistolets, il a vu mon air sombre et il a paru frémir. Je l’ai rassuré; je lui ai dit que comme nous étions sur le point d’aller à la campagne, j’en aurais peut-être besoin pour être en sûreté dans mes promenades solitaires au fond des b ois: il en a paru satisfait. Je me suis remis au bout d’une demi-heure.

    A 5 heures.

    îner le Prince m’a demandé, comme c’était mardi, pourquoi je ne dînais pas chez mes connaissances. Madame Gol… m’a jeté un regard scruta-teur, j’étais interdit et mal à mon aise: j’ai balbutié quelque chose au Prince et ce quelque chose n’avait pas le sens commun.

    à 26 ans! un si bon sujet, un excellent sujet, comme il nous a servi tous, en route, à Paris: il m’était très attaché. Le prince a beaucoup pleuré: moi-même j’ai versé des larmes à la mémoire d’un ami plutôt que d’un serviteur zélé; car l’intérêt qu’il me témoignait était plus tendre, plus cordial que celui d’un domestique. Le prince n’a pas pu dormir de toute la nuit; il a fait des gratifications au garde-malade du pauvre Archippe. Comme il était assidu à apprendre le vocabulaire allemand et français pendant le voyage, ce pauvre garçon! comme il se répandait en civilités à sa manière devant la petite génévoise de Paris. Et mourir à 26 ans, dans toute la force de la santé! Mais je te porte envie, bon Archippe, on ne te tracassera plus. Repo-se-toi en paix!

    à 6 heures du matin.

    Hier à 7 heures je suis allé à Société des Zélateurs. J’arrive et je ne trouve personne, pas une âme humaine; la porte est encore fermée. J’entre chez Menschenine, il est sorti avant midi. Je vais frapper à la porte de Boulga-rine, de Jakowleff, de Senkowsky — personne à la maison. Yakowleff, m’a-t-on dit, dîne chez elle; peut-être lui parlera-t-elle de ma prétendu impolitesse: elle taxe ainsi ses connaissances lorsqu’elle leur fait des injustices. Cependant, que devenir? M’en retourner sur mes pas, le trajet est assez long et puis à 8 heures demi il faut encore revenir. Allons rôder sans but et sans raison. Me voilà devant le Grand Théâtre. On donne les Deux Figaros. Entrons-y en attendant. J’occupe la place du Prince; j’applaudis à tous les propos lancés contre les femmes, je me fais quelquefois allusion à ma propre situation. Oh! que j ’étais fâché! que j’en voulais à tout le sexe. Ça m’a plongé dans une longue rêverie: j’ai passé en revue les avances de ma charmante cousine, l’inconstante Nanine: puis la volage Annette L…. vicz, puis Antoinette T…rgersky: je ne me suis reposé que sur le souvenir de la douce Joséphine: celle-là ne voulait pas me tromper, elle ne me donnait point d’espérances, mais elle m’aimait d’ami-tié. Bonne, aimable Joséphine, tu pleurais en quittant W… ting, tu me disais: si vous passez un jour en France, venez me voir. Et j’ai été en Yasselonne à six lieues de Saint-Diez sans pouvoir venir te voir. Reçois un soupir, bonne D…

    êvais, je me transportais tantôt dans la terre de mon oncle, tantôt à Charkoff, chez aimable Catiche Str…, tantôt à W… no, tantôt en Pologne, et les heures s’éculaient. Me voilà reveillé de mes pensées par une voix qui me souhaite le bonjour, je me retourne, je vois Mr. Fleury: je lui demande l’heure qu’il est. — II est neuf heures passées, dit-il. Je me lève et je m’enfuis pour arriver à temps à la société. Glinka, Boulgarine, Baratynski, Delvig etc. me font force amitiés. Je me contrains à rire avec eux et je ne joue pas mal mon rôle. J’ai proposé le Colonel Noroff pour être admis comme membre de la so-ciété: lundi en huit il sera reçu, je l’en préviendrai jeudi.

    A minuit j ’ai passé de nouveau chez Jakowleff, j’y ai trouvé Baktine. Nous avons passé en revue les personnes du haut partage, les gens en places et nous avons ri de très bon cœur. Le cernement de ces deux jeunes gens m’est infiniment agréable, surtout quand nous faisons le trio. De l’esprit sans préten-tions, des observations vraies, un tact juste — voilà leur caractéristique; c’est à la fois amusant et instructif.

    Elle n ’a pourtant rien dit à Jakowleff sur mon compte. Elle le boud e.

    é à dix heures et je me suis couché, je n’ai pu rien lire selon mon habitude: je n’ai pas eu le cœur à la lecture.

    ’hui je me suis réveillé à six heures. Ma tête est pesante et mon cœur vide.

    Je r éfléchissais sur ce que j’ai à entreprendre. Ne plus y revenir serait le plus salutaire à mon repos: mais ça aurait blessé les convenances; ça aurait donné des soupçons au mari de la dame. Pourquoi la compromettrais-je? Le plus convenable est d’engager le Prince à déménager le plutôt possible à la campagne — ceci m’aurait servi d’excuse et m’aurait épargné la mortification de m’exposer encore aux caprices de Madame.

    ’a dit bien des choses de sa part. C’est sur le sein de cet ami que je me repo-serai de la tourmente que j’ai essuyée en son absence. En vérité s’il était ici dans ce temps-là, j’aurais toujours été avec lui et son aimable épouse, je n’au-rais pas alors écouté Yakowleff qui voulait absolument me faire faire connais-sance avec la maison de Mme P…. reff. Il me persuadait qu’on désirait m’avoir dans cette maison: je me proposais le plaisir de connaître une femme accom-plie, qui possède une infinité de connaissances et de talents, qui est aimable, folâtre, etc. etc. Son époux vient deux fois aux soirées d’Ismaïloff, nous faisons connaissance ensemble, il m’invite à venir chez lui et je lui ai dit que j’y viendrais, bien sûr de ne jamais faire usage de ses avances. Je viens un soir chez Jakowleff, j ’y trouve un jeune Portugais et M. Baktine; nous causons ensemble et voilà une voix de femme qui se fait entendre dans l’antichambre. J’avais déjà sur la bouche le compliment à faire à Yakowleff, lorsqu’il dit: C’est S… D… Je vois entrer une jeune dame, je reconnais M-r P…reff dans celui qui la suivait; je crois encore voir un visage que j’ai vu quelque part et que je me remets dans la mémoire pour celui de M. T…hoff que j’ai vu autre-fois à Charkoff.

    Cette premi ére entrevue ne fit pas une grande impression sur moi: j’ai vu en elle une dame très-aimable, d’un babil charmant: j’ai tâché, autant que je l’ai pu, d’être gai et poli auprès d’elle; il me paraissait d’abord que je ne courais aucun danger, ce qui m’a rendu peut-être un peu trop franc et jaseur cette soirée. Je n’aime pas la contrainte, mais cette fois-ci je me suis mis à une table de wiste que je déteste, ce qui m’est aussi arrivé mainte et mainte fois par la suite. Je parlais moi-même, j’ai remarqué que c’était trop, mais j’allais toujours mon train pour faire voir que je n’aime pas à me contraindre ni à en-velopper mon peu de mérite dans un dehors de la fausse réserve: je ne sais si j’ai plu ou deplu par là. Le hazard m’a procuré l’honneur de jouer deux roberts de suite avec la Dame; Mr. Baktine, frère ainé de Nicolas, a voulu faire briller son talent de bel-esprit, en disant que nous étions inséparables; la politesse exigeait que je dise un mot de compliment; aussi je n’ai pas manqué de dire que ce serait un bonheur pour moi. La Dame a bientôt interrompu la partie; el-le m’a paru un peu piquée. Un moment après je l’ai entendu dire à Mr. Jean Baktine: qu’est-ce que ce compliment? J’ai cru entendre qu’il s’agissait du mien, mais j’ai eu bien l’air de n’y faire aucune attention, je n’ai pas changé d’humeur tout le reste de la soirée. En passant la Dame m’a dit force compliments, qu’elle serait, par exemple, enchantée de me voir chez elle, etc. etc. J’y ai repondu tant bien que mal et nous nous séparâmes.

    ère fois que j’ai été chez elle, j’étais enchanté; elle a été d’une gaieté charmante: beaucoup d’esprit, une saillie naturelle, quelquefois du sentiment. Je ne l’ai jamais vu depuis de cette humeur-ci. Je peux me vanter d’avoir été d’abord traité avec plus d’égard que Panaïeff et quelques autres de mes connaissances: avec eux elle ne s’y prenait que par des enfantillages; la comparaison que j’ai fait depuis a dû flatter ma petite gloriole. Cependant j’ai toujours tenu ferme; j’ai été d’une politesse et d’une réserve désespérante; et même par la suite faisant pour elle des poésies bien tendres, j’ai toujours été circonspect et même froid dans ma conduite personnelle; de sorte qu’ayant une fois pris congé d’elle lorsqu’elle me demandait quand je reviendrais et que je lui ai repondu que mon unique bonheur est de la voir aussi souvent que possible, elle m’a dit qu’on ne me prendrait jamais, et que je suis ardent dans les paroles et froid dans le cœur. C’était déjà un avis au lecteur: quelqu’un plus prudent et plus défiant que moi aurait compris qu’on ne tarderait pas à se ven-ger de cette prétendue froideur; moi je n’ai pas voulu être sur mes gardes et j’ai donné dans le panneau.

    ’est pour se venger sans doute de mon indifférence qu’elle m’ a retenu au chevet de son lit le 24 avril. Elle a su renvoyer tout le monde, mais elle a pris la pr écaution de laisser la porte de sa chambre à coucher ouverte. Elle me parlait de la confiance qu’elle avait en moi, de la préférence qu’elle me faisait à tous les autres: le tout était accompagné d’un regard si tendre, d’un air si ca-ressant, que J’a oublié mes belles résolutions d’être impassible. Son épaule se découvre, puis son sein se dévoile devant mes yeux. Je n’y tiens plus: je le couvre, je le mange de mes baisers, ce beau sein qui semble ne se soulever que pour l’amour et le plaisir, ma main indiscrète s’égare en caressant cette gorge d’albâtre: je tremblais, j’étais au supplice d’un homme torturé: dès ce moment-ci je me suis voué à elle, et, sot! je lui en ai fait le serment. Elle me disait que je voulais la perdre, et dieu sait où j’en serais, si Jakowleff n’était survenu sous le prétexte de lui porter des excuses. Dans ce moment même ma bouche était collée sur la sienne, elle même me donnait des baisers qui embrasaient tout mon être, ses yeux étaient presque éteints; encore une minute… et je m’abreuvais peut-être dans la coupe de félicités… Mais non! ce n’étaient que des grimaces: elle a vu qu’il n’y a que ce seul moyen de m’attacher à son char de triomphe et elle a voulu sauter par-dessus quelques considéra-tions pour atteinde son but… L’impitoyable Jakowleff m’entraine de sa chambre; confus et hors de moi, je le laisse faire, j’entre dans le cabinet de Mr. P… reff, et j’ai été bien longtemps avant de me remettre: je tremblais de tous mes membres, je tréssaillais du plaisir en me souvenant de cette scène qui me fait encore la plus douce souvenance et un trésaillement universel, comme si une étincelle d’électricité eut passé par tout mo n individu.

    Ce 2 Juin 1821, à 11 du matin.

    On enterre le pauvre Archippe dans ce moment-ci; je l ’ai vu en passant; ce visage pâle, défiguré, et le repos de la mort qui veille au chevet de son cer-cueil. Вечная память, добрый, любезный Архип!

    ’envoie dire que mon cher Basile va bientôt revenir de son voyage, qu’il est déjà en route, quelles nouvelles m’apportera-t-il de Paris?

    ’a dit dernièrement qu’il a aussi reçu une lettre de Mr. Rousseau. Comme j’en ai reçu une de Madame par le jeune Bourgeois, et que ces lettres ne contiennent rien d’intéressant, si ce n’est des nouvelles de famille, je n’ai pas voulu demander à Mr. Fleury la lecture de celle qu’il vient de rece-voir. NB[335].

    Il faut aussi passer à la maison de la Princesse Golitzin pour m’informer si l’on a reçu des nouvelles du Prince Alexis, et s’il n’y a point un petit bout de billet pour moi. Je crains beaucoup des suites du duel qu’il projettait avec le comte Meller. Voilà mes connaissances chez la Princesse Pauline dispercés sur la surface du globe! Mar est à Langbach, celui-là va se battre, les autres sont allés faire la campagne contre Dieu sait qui!

    ’ai lu ce matin La Gerusalemme di Tasso. ’agréable, d’enchanteur, je cherche toujours une comparaison ou une allusion à faire à elle. Toujours elle! Elle ab-sorbe toutes mes idées et cependant je suis résolu de l’oublier ou du moins de ne penser plus à elle. Le portrait d’Armide arrivée au camps de Godefroi, me parut être le sien: j’y cherchai le sourire, le regard de mon enchanteresse; mais voilà surtout un passage qui m’arrêta:

    E in tal modo comparte i detti suoi,
    ’alcun non è che non invidii altrui,
    Nè il timor dalla speme è in lor diviso.
    è l’arte d’un fallace viso,
    Senza fren corre, e non li tien vergogna, —
    etc.

    Hier, en revenant de chez Mr. Ostolopoff, j ’ai passé exprès dans la rue de Sellerie pour me donner le plaisir de battre encore de mes pieds le même pavé par lequel j’allais et revenais chez elle. Il me semblait que je venais de sa maison au beau milieu du mois d’avril, lorsque j’ai eu encore la tête remplie des rêves d’un bonheur imaginaire, je ne sais quel contentement se répandit subitement dans mon âme à cette seule idée; mais bientôt je suis descendu des nues et j’ai soupiré en pensant à la triste réalité qui m’est restée en partage.

    à 7 heures du matin.

    à 7 heures je suis allé à la séance de la société au Château S. Michel. J’y ai trouvé Gretsch. Nous avons parlé (lui et moi, s’entend) des affaires ac-tuelles de la France et de notre patrie. Il m’a raconté plusieurs faits qui se trouvaient dans les journaux libéraux. Entr’autres le vote d’un ultra pour éle-ver les enfants des Protestants dans la religion Romaine. Ont-ils le sens com-mun, ces gens-là? prennent-ils les français pour des votéistes?

    Dans la s éance on a élu Bulgarine que j’ai proposé, à l’unanimité; cela a fourni à Gretsch une observation sur les effets de la civilisation et des lumières du siècle; vu qu’un ennemi littéraire propose son ennemi; que ces mêmes en-nemis se chérissent comme des amis véritables, etc.

    ’a demandé des nouvelles de Mme. Je n’ai pas pu lui répondre ne l’ayant pas vue depuis six jours. Gretsch m’a autorisé d’écrire à Mr. Katschénowsky pour lui annoncer l’article méchant et d’une bassesse extrême que Woïeikoff va lancer contre lui dans le Fils de la Patrie. Gretsch m’a prié même de le lui écrire; il a beaucoup bataillé avec Woïeikoff au sujet de cet article, mais comme il n ’a pas le droit de s’opposer à l’insertion de cet article, il laisse faire son cher camerade jusqu’au 1 Janvier 1822, où ils doivent se dé sunir.

    Bulgarine va bient ôt lire une diatribe sanglante contre Woïeikoff sous le titre «’abjection»

    Nous sommes partis avec Gretsch vers 9 heures pour aller chez Bulgari-ne. Chemin faisant nous avons parl é de Madame. J’ai parlé avec beaucoup de feu de ses grâces, de son esprit et de ses talents. Gretsch m’a dit que c’est bien dommage qu’elle ne l’entende pas.

    Nous n ’avons pas trouvé Bulgarine chez lui; j’ai passé ensuite chez Ja-kowleff et chez Baktine, également sans les avoir trouvé l’un et l’autre.

    é. J’ai voulu me mettre à écrire et voilà qu’on frappe à ma porte. J’ouvre et je vois entrer Yakowleff; je lui demande des nouvelles de Madame, mais il ne l’a pas vue non plus depuis mardi. Nous nous sommes convenus d’y aller demain (c’est à dire aujourd’hui). Voyons ce qu’elle me dira. Je ne sais pas, mais depuis mardi ce n’est plus pour moi un plaisir d’y aller, c’est une peine. Il me semble que j’y porterai une bien triste mine, mais je tâcherai de me contraindre et de paraître gai, indifférent, autant qu’il me sera possible.

    On vient me dire que le Prince m ’invite à venir prendre le thé chez lui. Puis cessons notre journal pour le reprendre demain ou ce soir.

    à 7 heures du mat in.

    ’ai été chez elle. J’y ai passé toute la journée d’hier. Yakowleff n’étant point venu, je n’y ai trouvé que Panaïeff et cet éternel Lopês qui est pourtant un très brave garçon: mainte et mainte fois il m’a invité chez lui et comme je veux à présent changer de conduite à l’égard d’elle, je veux bien aller chez lui un dimanche.

    ’air fâché en me demandant l’état de ma santé: je lui ai répondu que je me portais parfaitement. ès Lopês prenait congé d’elle, prétextant d’aller à la chasse ou quelque chose de semblable. Elle a couru après lui, comme pour arrêter son chien qui voulait le suivre. J’ai vu ce manège, et je suis resté dans les apparte-ments. Après un quart d’heure je suis sorti pour prendre un peu d’air et je l’ai aperçue au bout de la fabrique à cordages. Comme il était impossible qu’elle ou Lopês ne m’eurent remarqué, je pris le parti de les aller joindre. Il s’est en allé et j’ai reconduit Mme dans les appartements. Voilà un court entretien qui s’engage entre nous deux où elle me fait des reproches de ne l’avoir pas atten-due mardi et d’être parti sans la voir: elle a répété, comme de raison, sa que-relle accoutumée sur les prétentions que j’ai etc. etc. Son époux et Panaïeff vinrent nous joindre et les pourparlers ont cessé. J’ai voulu partir tout de suite niais elle me forçait à rester. La curiosité m’a piqué et j’ai renvoyé mon cocher. Après le déjeuner elle s’est mise à piano, j’ai la priée de chanter Ragazze <нрзб.>, ce qu’elle fait d ’assez bonne grâce. Panaïeff lui a rappelé ma romance «Ты мне пылать» etc: elle l’a chanté de même. Cela m’a déplu et je voud-rais ne l’avoir jamais faite cette maudite romance, car c’est une pierre de touc-he de mes sentiments. Aussi je suis allé vite chercher ma canne et mon cha-peau et je sortis pour aller faire un tour de promenade jusqu’à la campagne de comtesse Besborodko.

    ïef qui sont aussi sorti pour la promenade. La politesse exigeait que je les suivisse, ce que je n’ai pas manqué de faire. La promenade s’est passé assez gaiement, dans la conversation on en est venu à Mr. Yakowleff: je lui dit qu’elle le maltraitait et c’était lui donner un champs libre pour faire une sortie contre les prétentions etc. etc. Il veut, dit-elle, qu’on s’occupe de lui exclusivement, il croit qu’on le méprise… (NB. Ce n’est pas lui, c’est moi qui l’ai dit dans mes lettres, aussi que j’ai très bien compris à qui cela s’adressait indirectement). En rentrant je l’ai fait beaucoup rire au dîner, de sorte qu’elle a eu une attaque des nerfs par la suite. Qu’il est dommage, qu’un si beau corps soit sujet aux affections vaporeuses! Elle, qui devrait être la santé même, elle qui devrait compter tous les instants de sa vie par autant de jouissances, a les nerfs trops faibles: tous les plaisirs un peu ex-cessifs, toutes les peines un peu sensibles la dérangent et lui coûtent plusieu-res heures de souffrances.

    ’ai remarqué chez elle une tendance de me peiner. Elle riait quelquefois d’un rire offensant, elle faisait ressortir l’esprit de Panaïeff aux dépens du mien, etc. etc. Une fois Pa-naïeff a dit à peu près une bêtise, une inconséquence sur mon compte; et bien ’aux pâmoisons. Elle a cru que j’en serais piqué, et elle s’y est trompée: je compris son intention et je ris avec elle. Il faut bien autre chose pour me décontenancer. Elle ne connaît pas mon caractère, elle ne sait pas que je supporte tout de la part d’une femme, surtout d’une fem-me aimable, mais je ne supporte point des propos d’un homme et que je sais parer les paroles en décochant traits pour traits, ainsi comme j’ai su dans plus d’une occasion, montrer de la fermeté et me battre avec des armes bien plus graves.

    Je suis parti vers 11 heures et demi et à dire la vérité, pas trop content de ma journée.

    Dimanche, ce 5 juin 1821.

    ée d’hier que j’ai passé chez Izmaïloff, n’a pas été trop bien remplie, je ne sais trop pourquoi. Il y a eu une quinzaine de personnes pres-que toutes mes connaissances. Madame Izmaïloff a un peu diminué de sa sécheresse et de son ton froid qu’elle affecta depuis quelque temps à mon égard, parce que j’ai fait une fois l’éloge de la charmante Mme P… ff en sa présence. C’était encore dans le commencement de ma connaissance avec cet-te aimable dame. Je ne sais pourquoi Mr. Kniagewitsch l’ainé m’a paru piqué d’une plaisanterie toute innocente. Je n’ai pas voulu l’offenser d’aucune ma-nière. Son frère est revenu de Laybach, il m’a fait le récit de son voyage à Venise. Noroff, Ostolopoff et moi nous avons parl é de la littérature italienne, française, et russe. J’ai promis à Noroff de passer chez lui lundi matin. Je l’aime beaucoup, ce brave militaire; la noble marque de sa valeur, une jambe de bois, est le meilleur certificat pour lui aux yeux de ses concitoyens. Je suis rentré à 11 heures et demi, et j’ai rencontré Jakowleff, tout près de la porte; il était venu me dire le bonsoir. Nous avons parlé une demi-heure; Madame a eu aussi sa part dans notre conversation: nous avons parlé de son amabilité et lui avons désiré un caractère un peu moins changeant, et de ne pas traiter avec rigueur les gens qui lui sont bien sincèrement dévoués.

    Lundi, 6 Juin, à 7 heures du matin.

    La journ ée d’hier m’a tout à f’ait reconcilié avec elle. Je l’ai cru passer bien autrement, cette journée, et je suis enchanté que le proverbe: Homo pro-ponit, Deus disponit avait servi cette fois à mon avantage. A midi j’allais chez Gretsch à la campagne; je l’ai rencontré au quai de Petersbourg, nous avons causé un peu ensemble et puis nous nous sommes séparés. Comme l’heure du dîner était encore très éloignée et que j’étais déjà dehors, par conséquent ne voulant pas rentrer avant d’avoir faire quelque chose, me voilà qui me décide d’aller voir Mme. Je trottais déjà sur le pont de Wibourg, clopin-clopant com-me je le pouvais à cause des bottes qui me torturaient les pieds, lorsque j’ap-perois Mr. Woïeikoff qui courait en droschki à deux places; je le salue, il s’arrête, m’invite à prendre place dans son droschki, et quoique je serais bien content de m’excuser là-dessus, je n’ai pas voulu faire des grimaces, j’accepte donc son offre obligeant d’aller bonne grâce et nous voilà à converser et sur le mauvais temps, et sur l’intempestibilité du climat de St. Petersbourg, et sur la fumée de Londres, et sur les 93 marches de l’escalier de Gretsch, et sur la ma-ladie de Madame Woïeikoff, et sur les talents et l’amabilité de Mr Noroff. Bref, nous avons fait le caquet bon-bec depuis le pont jusqu’à l’Académie de la medicine et chirurgie. Là je l’ai prié de faire arrêter la voiture, disant que j’avais une visite à faire à l’académie. Nous nous sommés dits force compliments et j’ai été très charmé d’avoir éluder une conversation plus longue.

    ’y trouve Yakowleff et Kouschinnikoff qui arrive un moment après. Madame me reçoit d’abord assez sèchement; elle veut re-tenir Yakoveff qui s’évade. On s’arrange à faire un tour de promenade avec Mme Goffard et les enfants, elle y va en effet. Je l’atteins et la plaisante sur ce qu’elle a l’air d’une maîtresse de pension, elle retourne à la maison. Nous déjeunons, nous parlons, et tout d’un coup elle me fait cadeau d’un mouchoir pour porter en chemise sous le gilet. Nous nous mettons de nouveau en marche pour aller à la campagne où demeurent les enfants de Mme Goffard; notre suite est composée de Mr Ponomareff, Madame, M. Kouschinnikoff, Mme Goffard, Alexandrine et moi. Madame me donne le bras, nous arrivons en face de la campagne de Mr Dournoff et prenons un bateau qui nous transporte jusqu’à la campagne Bezborodko; nous passons par le jardin. Madame me donnait tou-jours le bras pour la mener; au bout du jardin nous trouvons un pont couvert à demi écroulé et qui n’a pour tout plancher que deux poutres touchant le milieu du pont couvert. Je mène Madame avec toutes les précautions et sollicitude possibles; Hector reste au milieu du pont, n’osant point passer; elle l’appelle, il jappe et reste indécis. Je me précipite sur la poutre, je prends le chien sur mes bras, tout crotté qu’il était et je le porte sur l’autre bord, ce qui m’a valu des expressions très aimables, même tendres de la part de Madame. ’ont tout à fait cap-tivé et m’ont de nouveau soumis sous ses lois; je ne me sentais pas de joie; je jurais intérieurement d’être toujours à elle. Dans ce moment-ci elle m’a paru plus belle que jamais, et si je l’avais pu je l’aurais étouffé de mes baisers: même j’aurais embrassé mille et mille fois son chien; mais j’ai craint de la compromettre devant les jeux de tant de témoins. Ce son de voix lorsqu’elle dit quelque chose d’aimable, d’obligeant, pénètre dans mon cœur et y attire une nouvelle flamme, je suis alors aux anges et si confus, si heureux, que je ne sais que répondre: les phrases me manquent avec la respiration, je me pâme d’aise. Non! jamais je n’ai été aussi amoureux, j’étais plus jeune et les sensations n’étaient pas encore aussi profondes, aussi décidées.

    ée s’est passée assez agréablement pour moi. Après diner nous sommes allés en bateau à Krestowsky; là je me suis absenté pour quelques minutes; je les rejoins déjà sur le bateau et j’inventais des excuses et des incidents. Elle m’a pourtant grondé avec assez d’amertume: Toujours nous faites de ces farces; c’est joli! ’elle s’est mouillée les pieds; moi qui les avais aussi mouillés jusqu’aux genoux, je me taisais. Elle se plaig-nait du froid sur le bateau, et je craignais pour elle. Arrivée à la maison, elle se fait frotter les pieds, à nos instances réitérées, avec du rhum et s’est couchée ensuite. Elle a voulu retenir de force Mme Goffard, Kouschinnikoff et moi, pour passer la nuit à la campagne; mais ensuite elle a consentie à nous laisser partir. Je me suis approché d’elle pour prendre congé… Délayé j’ai vu encore ce beau sein qui fait mon martyre, je fais des efforts pour ne pas me trahir, je ne me possède presque plus. J’imprime un baiser sur sa main et je m’arrache de cette île de Calypso.

    ’ai oublié de noter qu’elle m’a grondé pour je ne sais quelles préten-tions lorsque je lui ai demandé le pardon pour je ne sais quelles fautes. Ensui-te elle s’est radoucie, elle m’a marqué du regret de ce que je ne lui écrivais plus, je lui ai renouvellé la prière de me permettre de lui écrire, ce que m’a été accordé.

    à 11 heures du matin, ce 7 juin.

    J ’ai écrit presque toute la matinée du lundi, le cœur et la tête toujours remplis d’elle. Je suis sorti à midi et demi pour aller chez Noroff que je n’ai pas trouvé à la maison. Ensuite, je suis entré chez Slenine, par désœuvrement, et j’y ai trouvé mon colonel à la jambe de bois. Il parcourait quelques ouvrages italiens. Nous sommes allés déjeuner chez Talon; puis nous sommes montés chez Pluchard où nous avons encore parcouru quelques uns de nos chers italiens en attendant le droschki du colonel. Le droschki arriv é nous avons été rentrés à terre chez lui pour prendre la pièce de vers que je dois lire pour lui dans la société. Il me charme de plus en plus cet aimable colonel; pas ombre de la morgue militaire, beaucoup de prévenance et d’honnêtetés; une conversation variée et instructive, il ne paraît pas aussi savant qu’il l’est en effet. Voilà des gens que j’aime parceque j’aime à être toujours avec des gens qui valent mieux que moi: c’est une espèce d’égoïsme, j’en conviens, je gagne ici tandis que je perds mon temps et mes paroles avec ceux que sont plus bêtes que moi. Je suis sûr qu’on est aussi dans les mêmes rapports envers moi, parce que c’est le universel.

    A 7 heures je suis venu chez Yakowleff: nous avons encore parl é d’elle; c’est elle qui fait les délices de ma conversation. Mais je tâche bien de cacher à Yakowleff mes véritables sentiments, qui tout pénétrant qu’il est ne s’en dou-te guère. Je crois que nous trompons l’un l’autre.

    é à la Société; j’ai insisté qu’on élit Noroff comme membre effectif; lorsqu’on est venu en scrutin, il s’est trouvé qu’il y avait 15 votes pour et un seul contre sa réception; il a donc été élu presque à l’unani-mité. J’ai remis à Glynka l’épitre de Noroff à Panayeff où il lui dit que la nature humaine se détériore de plus en plus; beaux vers à quelques incorrections du style près. Glynka l’a lu dans la séance même, et tout le monde l’a approuvé.

    Vous me pardonnez, Madame! vous me rendez vos bont és! Non! je ne me suis pas trompé, vous tenez de la divinité la plupart de ce que vous êtes, et ces grâces, et cette bonté, tout cela est d’une origine céleste. Eh! Suis-je digne d’un de vos regards, de ces regards qui font tant de bien à celui sur qui vous daignez les arrêter. Oh! si vous aviez vu, combien je souffrais en voulant com-battre, subjuguer une passion qui est devenu pour mon âme ce que les esprits vitaux sont pour le corps de l’homme, — inséparable de mon existence; j’ai cru perdre à jamais les douces illusions de ce bonheur, qui, sans être réel, n’en est pas moins cher pour moi puisqu’il me représente l’image d’un bonheur plus parfait, plus palpable, auquel je n’ose attenter que dans mes rêves.

    éfier de la véridité de mon amour. Hélas! est-ce ma faute si cette figure sans expression, si ces yeux sans feu ne vous disent que faiblement ce que j’éprouve? Tout le feu, qui manque à mes yeux et qui n’anime point mes traits, est concentré dans mon cœur: c’est là que vous avez votre autel, où vous êtes sans cesse adorée, encensée. Non! une flamme si forte ne pourra pas mourir même avec mon être, elle me survivra, elle suivra au delà du tombeau et sera pour mon âme le plus bel apanage d’immortalité. Je vous y reverrai. Madame! vous serez l’ange de bonté qui me fera participer à la félicité éternelle: sans vous je n’y trouverais qu’un état de langueur infinissable.

    Et vous n ’êtes plus fâchée, Madame? est-ce bien sincèrement que vous m’avez pardonné? et vous ne rebuterez plus un cœur qui ne palpite que pour vous? Oh! si je n’avais pas de témoins, j’aurais embrassé dernièrement cent mille fois votre Hector, qui m’a attiré de votre part ces paroles douces qui sont à jamais gravées dans ma mémoire; c’est lui qui a contribué à vous persuader de même en partie de tout l’amour dont je brûle pour vous. Jugez donc, Madame, si je dois le chérir, si je peux regarder d’un œil indifférent un être qui est en quelque sorte mon bienfaiteur? Et quel précieux fardeau que je trouvais en lui? je portais dans mes bras une créature que vous affectionnez, Madame! et tout ce qui vous est cher, l’est encore davantage pour moi, car toutes vos affections se communiquent à mon âme, s’y augmentent et s’y multiplient! Quel sympathie pour moi que celle de sympathiser avec votre cœur. Si j’avais pu as-pirer à un retour… mais je n’ose pas y prétendre: ce serait un bonheur qui ne m’est point destiné en partage. Je me contente donc de mes propres sentiments, je me contente aussi de la seule prérogative qui me soit accordée, celle de vous l’oser dire.

    ’amitié ou de bonté répandent une douce chaleur dans toute mon existence. ces aimables paroles resonnent sans cesse dans mon oreille et coulent de veine en veine comme des flots de f élicité indicible. Ah! répétez-moi souvent des expressions pareils, il coûte si peu d’en dire et heureux celui qui peut procurer aux autres, à si peu de prix, un bonheur impayable! On se ressent du bonheur qu’on fait participer aux autres: on est heureux soi-même.

    Je vais de nouveau, Madame, mettre à vos pieds l’hommage de mon cœur, qui est, ainsi que toute mon existence

    à vous, pour l’éternité.

    à midi.

    Ma matin ée d’hier s’est passée assez tranquillement. J’ai écrit ma pre-mière lettre à Madame après la reprise où je lui peins ma flamme. Elle est trop longue, cette lettre, et j’ai peur qu’elle ne l’ennuye: ennuyer une jolie personne ce serait pécher contre la nature. J’ai dû diner chez le Prince, mais je me pro-jettais d’aller chez elle tout de suite après diner. Voilà que la Princesse me prie de lui trouver dans la bibliothèque les livres qu’elle même n’a pas pu trouver. Je cache le mécontentement, qu’a produit sur moi une commission aussi intempestible, je cherche les livres et les trouve presque aussitôt. La princesse a été très aimable avec moi, je lui ai apporté dans son cabinet les livres qu’elle m’a demandés et elle m’a parlé des plaisirs que nous allions goûter à la campagne; pour trancher court, je lui ai repondu que j’aimerais au-tant rester en ville, vu que l’été ne permettais point d’être beau. Sur les cinq heures je suis parti pour aller à la campagne de Md P-ff.

    ’y ai trouvé Lopès qui partit presque aussitôt, et le colonel Slatwinsky. Madame a été indisposée, elle a gagné une attaque de rheumatisme sur la ba-lançoire. Elle s’est un peu trouvée mal et s’est couchée, et moi je suis allé faire un tour de promenade. J’ai rencontré les deux Kotschubey qui s’en retournaient en ville de chez la Princesse Lobanoff; je les ai salu é en passant. Près de la campagne de Mr Dournoff, j’ai rencontré ses deux fils et Mr Dougoulz, j’ai causé avec eux et l’aide de camp m’a comblé d’honnêtetés; tous les deux à l’envi ils m’invitaient de passer chez eux, mais je me suis excusé! En rentrant j’y ai trouvé Izmaïloff; Madame était encore couchée; un moment après Andréef étant venu, elle l’a fait inviter à passer dans sa chambre, puis elle a voulu se lever et elle a crié de douleur. Je suis accouru pour l’aider si je le pouvais; et à l’aide de Mr Slatwinsky nous l’avons relevée. Elle a été très aimable avec tout le monde. Les autres étant partis, nous ne sommes restés au souper que moi et Izmaïloff. Elle a été d’une gaieté charmante. Après souper je suis entré dans sa chambre à coucher et je l’ai vu caresser le chien de Lopès. Que je l’enviais, ce chien. Je le lui avais dit plusieurs fois, enfin je me suis rapproché d’elle, je lui ai baisé la main avec ardeur et à plusieurs reprises: et en sortant je lui ai imprimé un baiser sur les lèvres; elle m’a aussi embrassé. Elle a voulu me retenir pour coucher à la campagne, mais je m’excusais sur l’impossibilité, vu que le prince avait à faire avec moi. Malgré tout cela elle m’a fait préparer le lit dans le salon, et elle-même arrangeait les oreillers de ce lit. Je n’ai pas pu y tenir, j’y aurais resté toute l’éternité, je me soumis en lui baisant la main… Hélas! faut-il me borner à cela? Je n’ai dormi que deux heu-res, après quatre heures du matin son chien qu’on a blamé dans la journée, est venu près de mon lit; il m’a reveillé, il était souffrant, et je ne peux pas voir souffrir un être quelconque, je ne dis pas déjà son chien. Je me suis levé, je l’ai pris dans mes bras et l’ai fait coucher sur mon lit que je lui ai cédé: pour ne point le toucher et lui faire mal, je me suis habillé et je partis pour retour-ner à la maison. La journée d’hier est une de celles dont je conserverai le plus doux souvenir. Quel prix ont à mes yeux ses moindres caresses, ses mots de bonté, ses plus petits soins de ma personne! Oh! si j’étais aimé en effet, com-me j’aurais su sentir toute l’étendu e de mon bonheur.

    Dans la matin ée d’hier j’ai reçu un billet d’invitation pour la soirée de la part de Mr Ostolopoff. Le billet étant écrit en italien, j’ai dû répondre, comme j’ai su, en cette langue. J’ai passé ensuite chez Boulgarine pour 1’inviter aussi au nom de Mr Ostolopoff; après cela je me suis rendu chez Nikitine. Je lui ai insinuée l’idée de la réunion des deux sociétés et j’ai pu voir que ce n’était nullement de son goût.

    ’a pas laissé entrer dans sa chambre à coucher: j’ai vu qu’on y a apporté à son ordre un portrait et j’ai cru remarquer la figure d’un peintre de portraits en miniature. Le domestique polonais a laissé tomber par maladresse la toile qui couvrait le portrait et j’ai reconnu les traits de Mme Woïeïkoff. Hé, Mr. Bulgarine! je vous félicite: mais je ne lui ai pas dit ce que j’ai vu.

    Ce 10 Juin 1821.

    âces au mauvais temps qui me retient en ville. Madame! j’ai encore de vouloir <нрзб.> la douce perspective de vous voir deux ou trois fois avant mon d épart pour la campagne. Il me vient de temps en temps des idées qui n’ont pas le sens commun: je désire quelquefois qu’il fasse contin-uellement la mauvaise saison afin que vous déménagez plus promptement pour venir demeurer en ville et que j’aie le bonheur de vous voir tous les jours. Grondez-moi si vous voulez, Madame, mais sur ce point-là je suis égoïste, et très ègoïste, et ce n’est pas tout-à-fait sans raison. Il me semble que quand je suis près de vous, mon existence est alors plus complète, plus entière, tandis que loin de vous je me crus privé d’une grande partie de moi-même, et c’est la vérité: mon coeur, mon âme, mes pensées, mon imagination sont constamment attachés à vos pas et semblent voltiger autour de votre image adorée. Tout ce qui constitue la meilleure partie de moi-même est donc absorbé dans vos perfections et que me reste-t-il? de la glace au lieu du cœur, un vide continuel dans l’esprit et dans l’âme et une enveloppe grossière qui tient à mon origine terrestre.

    ’ai en vue en m’éloignant de votre personne! écrivez-moi aussi souvent que vous le pour-rez, écrivez-moi de longues lettres afin que je puisse boire à longs traits le plaisir de voir quelque chose qui émane de vous! Je sais que ma prière est trop hardie, mais c’est à un ange que je l’adresse et un ange ne se refuse jamais de consoler les pauvres humains. Que mon coeur battra avec force lorsque j’aurai à attendre de vos nouvelles! Oh! je les porterai sur mon cœur, vos lettres, elles y feront revivre cette douce chaleur qui s’amortira par votre absence ou qui ira plutôt se réfléchir dans vos yeux.

    Chaque fois que j’ai le bonheur de vous voir, Madame, je reviens enc ore plus amoureux. La dernière fois surtout… oh! cette soirée se gravera dans ma mémoire parmi les instants les plus heureux de ma vie. Je vous ai vu arranger de vos propres mains les oreillers du lit qui a été destiné pour me recevoir; oh! avec quels transports j’imprimais des baisers sur ces mains incomparables! L’oserai-je dire… non! mon cœur est encore trop plein de ce bonheur et les plus belles expressions seraient froides et insuffisantes.

    ’en suis le plus amoureux.

    à vous pour l’éternité
    O. Somoff.

    Vendredi, ce 10 Juin, 1821.

    ’ai attendu le colonel Noroff pour aller ensemble à midi lui faire faire connaissance avec Monsieur et Md Ponomareff, mais il n’est venu que vers deux heures, de sorte que toute ma matinée a été manquée. Nous avons parlé de Md Ponomareff, je lui ai inspiré le désir de la connaître, et comme il ne trouve pas convenable de venir diner à la premiére visite, il m’a promis d’y venir demain vers 6 heures. Ensuite nous avons parlé de la littérature russe et étrangère. Je lui ai prêté 4 volumes de Parny pour lire. Il ne faut pas oublier de lui communiquer la note du meilleur commentaire de Dante. Le v oici: édia di Dante Alighieri, col comento di G. Bignioti; 2 toms. Pari-gi, 1818, in 8. Presto Dondey Dupré in 44. Il m’a promis de m’en faire venir un exemplaire de Paris. Vers trois heures le colonel est parti.

    ès 7 heures j’ai été à l а Société des Amis de Lettres, des Sciences et des Arts, au Palais St. Michel. Bulgarine nous a lu ses souvenirs de la guerre d’Espagne, qui sont très intéressants. Il peint avec beaucoup de feu le beau sèxe de ce pays, le climat, la nature. Après lui Ostolopoff a lu le traité de la tragédie, qu’il veut intercaler dans le Dictionnaire de la Poésie ancienne et moderne. Bonne compilation, mais un peu trop détaillé pour un article d’un grand ouvrage. A dix heures j’ai proposé à Izmaïloff d’aller faire ensemble une visite à Panaïeff que nous avons trouvé plus souffrant que jamais. J’y suis resté jusqu’à minuit et je suis rentré chez moi vers minuit et demi.

    à 7 heures du matin.

    Non, c ’est trop! pour prix de mon amour, pour prix de mon dévouement ne recevoir que mépris, outrages, mortifications! Elle s’est peinte hier avec des couleurs bien noires: elle m’a poursuivi, déchiré… et pourquoi? pour un rien, pour une vétille qui ne mérite pas même que l’on en parle.

    J ’ai été très affairé la matinée et j’ai pourtant trouvé le moyen de lui faire un billet bien tendre, où je lui peignis mes sentiments. Vers deux heures je suis parti; le temps était brumeux et triste; mon cœur éprouvait aussi une at-teinte de la tristesse: je ne sais quels préssentiments vagues s’en étaient em-parés. J’arrive chez elle et je trouve le mari dans le salon; l’on dit que Madame fait sa toilette. Le vent sifflait aves force, la pluie tombait de temps en temps; tout contribuait à m’indisposer. Enfin au bout d’une demi-heure il a cessé de pleuvoir et le temps parut un peu de remettre. J’ai dit à m-r P…ff que j’allais faire un tour de promenade et je suis allé en effet. En rentrant, j’ai vu arriver en balcon Izmaïloff, Ostolopoff et les deux Kniagewics. Un moment après j’al-lai frapper à la porte où Madame s’habillait et je lui ai remis mon billet. Elle m’a parlé par la porte, ne voulant pas me laisser entrer parceque elle était, di-sait elle, en chemise. Lorsqu’elle a paru, je pus remarquer en elle une espèce de froideur et d’affectation à mon égard et je me prédis tous les désagréments en butte desquels j’ai été exposé par la suite. Elle m’a envoyé chercher son journal, voulant faire voir un dessin à ces messieurs; puis elle a paru ne pas retrouver les billets de Panayeff qui se trouvaient, disait-elle, dans ce journal; elle accusait en ricanant tout le monde de les avoir pris; je n’en ai rien cru parceque je connaissais déjà ces stratagèmes de femmes.

    ’à l’après diner, exepté qu’elle ne s’adressait plus a moi et qu’elle me répondit d’un ton affecté. Lopès étant survenu, elle est allée lui parler dans sa chambre à coucher et y restée près d’une demi-heure. Je me suis ennuyé et je vins prendre mon chapeau pour al-ler faire encore un tour de promenade, quoiqu’il ait plu à verse tout le temps du diner. Elle m’a demandé où j’allais et je lui repondis avec humeur: je vais, Md, ce que j’ai répété à plusieures reprises. Elle m’a grondé un peu, mais malgré cela je suis parti. Elle a regardé par la fenêtre et a rappelé Hector qui voulu me suivre. Je lui dit qu ’elle pouvait être tranquille et que je n’avais pas l’intention d’emmener son chien. Elle m’a fait là-dessus une grimace qui m’au-rait fait rire si je n’en avais saisi toute la méchanceté. J’ai rodé sans but dans la campagne de Bezborodko et de retour j’ai trouvé la dame sur la balançoire, je l’ai abordée et l’ai saluée. Elle me dit d’un ton d’humeur très prononcée: Que me voulez vous dire? Là-dessus je repondis que rien et je n’ai pas perdu la contenance. Un peu après, je l’ai suivi et lui ai demandé le sujet de son mécontentement, elle m’a dit que je ne suis pas digne qu’elle me parle et qu’elle me traite de même que Yakowleff. En ce cas, Madame, lui dis-je, vous voudrez bien souffrir que je ne revienne plus. Au souper elle cherchait tous les moyens de me déconcerter, elle s’accrochait à tout ce que je disais et souvent d’une manière ridicule. Je parlais toujours en riant, sans paraître faire attention à ses dispositions hostiles. Je ripostais à ses propos et les démontais sou-vent, ce qui semblait lui faire de la peine en présence de tant de personnes et dans le moment où elle voulait faire briller son esprit aux dépens du mien. Après souper je l’aborde et lui souhaite le bon soir, lui disant que je n’aurai peut-être pas sitôt le bonheur de la voir, parceque j’allais bientôt déménager pour aller à la campagne. Elle m’a tendu d’abord la main en détournant le visage, puis elle m’a rappelé, m’a fait un signe de la main, m’a demandé si je ne voulais plus rester et sur la réponse négative elle m’a dit: Baisez-donc ma main. Elle a paru sourire. Je suis parti assez content de moi-même, mais très mécontent de ma journée.

    Dimanche, ce 12 Juin, 1821.

    ’ai travaillé toute la matinée; je n’ai eu le temps que pour faire un petit tour dans le jardin. Je pensais à ma disgrâce; j’ai été triste et cherchais la solitude. Mais dans l’après-diner je pris la résolution d’aller chez Izmaïloff afin qu’on ne croie pas que je conserve de l’humeur de la soirée d’hier. Comme je devais passer presque devant la porte de Panaïeff, je suis entré chez lui pour lui souhaiter le bon jour. Il me reçoit assez froidement et j’y vois Richter feuil-lettant quelques papiers. Panaïeff me dit qu’il a entendu de Mr Ostolopoff, Kniagewicz et Izmaïloff qui sont venus le voir dans la matinée que j’ai été maltraité par Md. Je lui conte tout et il me remet le billet de Madame, très of-fensant et très dur où elle me reproche d’avoir volé les billets de Panaïeff. Je ne me serais jamais attendu à cette sortie: Panaïeff me communique qu’elle lui a aussi écrit en faisant part de ce prétendu vol.

    ’ai été charmé de pouvoir obliger quelqu’un qui la ser-vait, mon cœur est très gâté sur ce point; si j’aime quelqu’un, j’aime tout ce qui dépend de lui, tout ce qui lui est attaché, même tout ce qui l’était connu. Je me suis donc offert de très bonne grâce de rendre un service à son ancien domestique, et j’en parlerai au Prince.

    A 4 heures et demi de l ’après-midi.

    ’a recommandé de lui amener Wladimyr, et comme ce do-mestique m’a dit qu’on peut l’avoir en payant sa rançon, le Prince y consenti, d’autant plus qu’un de ses laquais est mort et l’autre malade. Le Prince m’a dit des choses très obligeantes que ma recommandation suffit et que je ne lui ai jamais présenté que ce qui était vraiment bon. Il est vrai que je lui ai procuré un homme excellent, M. Kolomytzoff pour être èconome de l’institut des Sourds et Muets; aussi le P. se reposa parfaitement sur ma recommandation. Je serais ravi s’il me réussit de même de délivrer ce pauvre Wladimyr des griffes de son maître actuel.

    ’ai eu l’honneur de passer la journée chez vous, j’ai pu remarquer que vous avez cherché toutes les occasions et tous les mo-yens pour m’aigrir, m’humilier et m’attirer du ridicule sans que je vous en aie prêté la moindre raison. Entièrement tranquille sur votre compte, fort de la lo-yauté de ma propre conduite et me reposant sur les bons accueils dont vous m’avez honoré antérieurement, j’ai pu, je l’en conviens, n’être pas autant sur mes gardes que je l’aurais été. Aussi lorsqu’il vous a plu de me demander ce que je voulais taire, j’ai eu l’honneur de vous répondre que j’allais faire un tour de promenade comme c’est mon habitude quand je n’ai rien de mieux à faire. J’ai vu la mine menaçante que vous m’avez faite alors mais j’étais per-suadé que vous me jugeriez mieux par la suite. En vérité, Madame, ne dois-je pas voir clairement que lorsqu’il y a du monde chez vous ou que vous me faîtes venir à vos dîners invités, je suis toujours là comme un de ces magots de la Chine qu’on met sur la cheminée uniquement pour occuper une place. Si je prends la liberté de vous adresser la parole, de vous offrir mes services, vous les recevez de si mauvaise grâce que cela ne peut pas manquer d’être aperçu de tout le monde, mais la plupart du temps vous avez l’air de ne pas vous aper-cevoir si j’y suis ou non. Et pourquoi donc faire venir un homme à qui on veut marquer du mépris ou qu’on veut laisser dans l’oubli? Autant vaudrait-il lais-ser en repos celui à qui l’on ne s’intéresse point. Vendredi, par exemple, vous avez taché mettre à son aise chacun de votre société, et moi j’étais le seul qui n’a reçu pour son co mpte que des grimaces ou des outrages.

    De mon c ôté j’ai pris la hardiesse de vous faire remarquer, Madame, qu’on ne parvient pas si facilement à me décontenancer, j’ai été encore forcé d’adopter le rôle qui convient le moins à mon caractère — celui d’insolent, et ce rôle, comme vous l’avez vu ne m’a pas mal réussi; j’affectais une légèreté et même une gaîeté qui étaient diamétralement opposés à ce que je sentais alors intérieurement.

    Vous m ’avez dit, Madame, que vous ne me parlerez plus comme vous le faîtes avec Mr Yakowleff. De grâce, Madame, ayez la bonté de me dire, est-ce bien sincèrement votre intention. Je dois le savoir afin de pouvoir modeler làdessus ma conduite. Je n ’ai pas oublié non plus le rang de bas officier qui vous a parût si bas: cette petite sortie pourra servir de pendant à une autre de la même espèce qui a eu lieu au sujet des gens qui sont pauvres. Je sais bien que je suis pauvre et sans rang; mais j’ai l’avantage de connaître bien de personnes qui sont éminemment riches et d’un rang infiniment au dessus du mien et qui cependant ne croient point s’abaisser en me traitant d’une manière amicale. Aussi je ne cherche jamais moi-même des nouvelles connaissances; je les trouve ou par hasard, ou par des avances qu’on me fait, ce qui n’a pas peu con-tribué à rendre mon âme assez fière pour savoir apprécier à leur juste valeur les injustices qu’on me fait.

    étentions, mot qui se trouve toujours dans votre bouche et qui doit y avoir plus d’un sens. Quelles prétentions me supposez-vous à moi, Madame? Je n’ai jamais préten-du point qu’on s’occupât exclusivement de mon chétif individu, mais je ne présente non plus l’homme de servir de plastron aux outragers lorsque vous ju-gez à bon de bouder quelqu’un. Toutes mes prétentions se bornent dans le vouloir être traité comme tout le monde et comme moi-même je suis traité; et si non, non.

    En prenant la libert é de vous exposer le sujet et les motifs de mes peines, j’ose encore vous prier, Madame, de ne pas m’ôter vos bontés et votre bienveillance qui sont pour moi le seul bonheur auquel j’aspire; ainsi que de vouloir bien croire aux sentiments de la plus parfaite estime avec lesquels j’ai l’honneur d’être,

    Madame,
    ès humble et très
    éissant serviteur

    ère, Madame, que de me traîter de la sorte! Peut-on apostropher du nom de voleur les gens qu’on daigne admettre chez soi et qui n’ont jamais démenti par aucune action illicite la bonne opinion que vous avez paru en avoir? La propriété d’autres est pour moi une chose si sacré, qu’il m’est pénible d’être même soupçonné de fouiller dans les papiers qui ne m’appartiennent point, car j’ai toujours donné la preuve d’une confian-ce aveugle dans les personnes qui m’honorent de leurs connaissance. Et avez-vous jamais remarqué quelque chose de semblable? m’avez-vous trouvé lisant ou feuilletant les lettres qui sont sur votre table à écrire? Hé, Madame! vous avez mal étudié mon caractère si vous me jugez capable d’une telle indignité. Et si c’est une autre intention qui a pu motiver ce prétendu soupçon, je vous plains, Madame, de n’avoir pas choisi quelque autre expédient, car M-r Pa-naïeff, qui connait assez mes principes, est parfaitement rassuré sur mon compte.

    С ’est demain que nous allons à la campagne. J’en suis enchanté; cela pourra me servir d’excuse aux yeux de Mr. Ponomareff de ce que je ne serais pas venu si souvent.

    à une heure de l’après-midi, j’ai porté moi-même ma réponse à Md. J’ai choisi exprès ce temps pour lui faire voir que je l’estime encore beau-coup pour venir me justifier moi-même, et que je suis trop sûr de mon innocence pour éviter de me rencontrer avec elle: mais en même temps je savais qu’ils devaient n’être pas à la maison, parceque Mr. m’en dit encore vendredi qu’ils ne dîneraient pas chez eux dimanche. De sorte que j’ai su concilier mes devoirs de courtoisie envers Madame avec l’intention d’éviter une rencontre fâcheuse où je pourrais bien m’emporter et lui dire des choses désagréables, et je ne veux pas manquer au respect que je lui conserve. Ma lettre dira tout: je l’ai remise, bien enveloppé et cachetée, au seul domestique que j’ai pu trou-ver. J’aimerais mieux la remettre à la femme de chambre, mais elle ne s’y trou-vait point.

    ès dîner je suis allé chez Izmaïloff qui m’a promis la veille de me mener chez le fameux Ganine, chez qui il y a tous les dimanches la musique etc. Izmaïloff m’a pourtant manqué de parole: il n’a pas dîné à la maison et n’était pas encore rentré. En revenant, j’ai passé encore chez Panaïeff qui va mieux: j’ai pris le thé chez lui. Il m’a reçu avec plus de franchise que la veille. Nous avons parlé de Madame, enfin de matière en matière je suis resté chez lui jusqu’à onze heures. Yakowleff est aussi venu le voir. Il a conté plusieurs traits du prêtre Mansuetoff qui m’ont confirmés dans la bonne opinion que j’en avais conçue.

    ïeff j’ai passé une heure chez Amélie qui était venu depuis trois mois vainement frapper à ma porte. Je me ris quelquefois de moi-même. Je me venge toujours sur ma personne des injustices qu’on me fait. Dans l’Ukraïne, en Pologne, après la disgrâce d’une femme comme il faut, je me précipitais entre les bras d’une courtisane, comme pour tirer vengeance de mes propres sentiments. Amélie pourtant fait exeption: elle est joli, modeste, même sensible comme elle le s’expose et sa petite figure chiffonné d’alleman-de, et sa taille svelte et gracieuse, sa belle chevelure, son beau sein peuvent faire une illusion au défaut de mieux. Elle a été enchantée de me revoir, mais elle s’est aperçue que j’étais trop distrait.

    J’ai été trop sage les trois mois derniers; je faisais le sacrifice de mes plaisirs, reprimant mon tempérament de feu à une personne qui s’en moquait. Parlons maintenant des folies, tâchons de nous étourdir en buvant dans la coupe des plaisirs faciles et d’oublier les rêves séduisants d’un bonheur imagi-naire. Ici, où je me peins tel que je suis et que personne ne lira, du moins avant ma mort, je n’ai pas besoins de me déguiser.

    La matin ée d’hier s’est passeé à écrire. Je suis pourtant sorti avant deux heures pour respirer l’air frais dans le jardin. J’y ai trouvé le compte Kwostoff qui me faisait subir mort et martyre avec la traduction de son épître: il me mé-nace de venir à la campagne du Prince et de m’apporter plusieurs exemplaires de la traduction de S. Maure.

    A 7 heures j ’allais dans la société des élateurs ’ou-verture chez Bulgarine et chez Yakovleff ayant eu à parler à tous les deux. J’ai rencontré le colonel Noroff en droschki dans la Grande Meschtschansky: il al-lait me trouver ou, à défaut de moi, Mr. Izmaïloff pour faire ensemble son entrée chez les Zélateurs. Je lui ai dit qu’il était encore trop de bonne heure, la séance ne s’ouvrant qu’à 9 heures et je l’ai invité à passer chez Bulgarine que nous avons trouvé entouré de deux Polonais, gens de lettres. Peu de moments après, viennent chez lui Woïeikoff, Gretsch, Gnéditsch et Nicolas Bestougeff; nous passons ensemble à la Société et sur l’escalier le pauvre colonel tombe, sa jambe de bois ayant glissé sur une pierre trop aplanie. Pendant la séance, Gnéditsch nous lit un très beau discours, très pathétique, pour remercier la Société de l’avoir reçu son membre effectif. Il prononçait avec beaucoup de feu et avec cet art de déclamer que personne ne peut lui disputer. Tous les cœurs ont été électrisés; j’étais tout ouïe et tout attention. Le discours a été assez long et pourtant j’aurais voulu qu’il durât deux fois autant. Dans la suite de la séan-ce on l’a élu président en second de la Société.

    La s éance étant levée et les membres fonctionnaires élus pour le se-mestre qui vient, on a fermé la Société pour un mois et demi. Gneditsch, Gretsch, Borotynsky, Glinka, Delwig, Lobanoff et moi, nous sommes allés prendre le thé chez Bulgarine. La réunion a été extrèmement animée, on cau-sait, on racontait des anecdotes etc. Gnéditsch m’a demandé si je n’ai pas dîné ce jour-ci chez Md. sa tante? Je lui ai dit que non. — II y a eu pourtant un dîner invité. — J’étais sûr d’avance que je n’y serais pas invité. — Pour-quoi? — Madame est fâchée contre moi. — Elle s’apaisera avec le temps; cela ne dure pas longtemps chez elle. J’en conviens; mais j’ai aussi mes raisons pour y aller le plus rarement possible.

    été à ce dîner. Il m’a dit qu’il n’y a eu que lui et sa femme et le gros Krylo ff.

    Tout le monde étant parti, nous sommes restés à trois:

    à la Liberté, ils les ont trouvé bons, mais ils m’ont conseillé de ne les donner à personae.

    é après deux heures.

    * * *

    Non! je ne pourrai pas venir demeurer chez elle. Je dois partir au-jourd ’hui à la campagne. Il y a une lettre qui m’inquiète beaucoup et qu’on a reçu de Twer adressée à la Princesse Barbe; la main qui a mis l’adresse m’est inconnue. Je serai au désespoir si elle dit des nouvelles fâcheuses d’Alexis ou de son aimable épouse; ils sont au voyage et il y a si longtemps qu’on n’en a reçu aucune nouvelle, et elle surtout qui est enceinte! S’il arrive quelque mal-heur, adieu mon pauvre Alexis! je devrai pleurer une double perte de deux êtres qui m’étaient si chers dans la vie.

    A 11 heures du soir. A la campagne.

    ’ai été dans des angoisses mortelles. Heureusement que ce n’est qu’une lettre de Mr Ossipoff, comme je l’ai su de la Princesse Barbe elle-même. Je ne sais qui aurait pu prendre plus d’intérêt à ses amis, à des personnes qu’il chéris, comme je le fais. Mon cœur était oppressé d’un poids énorme, et je n’ai repris ma gaîeté qu’après la connaissance de la chose. Je n’ai pas pourtant quitté la ville sans avoir vu le colonel Noroff: je l’ai trouvé écrivant en italien une lettre à sa sœur. J’ai causé avec lui plus de deux heures. Nous nous som-mes arrangés pour aller jeudi chez Md Panaïeff; je ne sais si cela aura lieu.

    été tout de suite au carrousel. Le Prince me-nait sur la calèche tantôt la Psse Natalie, tantôt Md Golovine. Il n’y a eu d’abord d’étrangers que Fabre et un autre français nouvellement débarqué, et un Anglais de la société de Mylady Chagot auquel j’ai donné l e sobriquet de Nonchalent noir’air avec sa mine niaise et son habit noir de pied en chef. Un moment après, nous avons vu caracoler une cavalcade. C’était le Comte Chernyscheff avec les deux Konownitzin, Simoni, un <нрзб.> et deux palefr eniers. Le Prince les a invité d’entrer dans la lice. Le Comte lui seul a fait les prix de la bague, de la balle, de l’épée et de l’étendard, mais il n’a pas pu se résoudre au prix du pistolet à cause de son cheval ombrageux. Il a fait manœuvrer son cheval de toutes les manières. C’est un joli cavalier que ce petit comte; il n’est pas moins habile à monter que son écuyer même. Ce soir j’ai joué au billard avec Kürchner.

    бы в нем сообщались дурные новости об Алексее и его милой супруге; они путешествуют, и уже так давно от них нет никаких известий, тем более, что она еще и в положении. Если случится несчастье, прощай, мой бедный Алексей. Я должен буду оплакать двойную потерю людей, которые так дороги мне были в жизни.

    11 часов вечера. На даче.

    кто ему дорог. Мне было так тяжело на сердце, я смог вновь обрести веселость, лишь когда узнал, в чем дело. Тем не менее я не уехал из города, не повидав полковника Норова; я застал его за письмом, которое он писал на итальянском языке своей сестре. Мы проговорили с ним более двух часов и договорились в четверг пойти к г-же Панаевой: не знаю только, удастся ли это сделать.

    Приехав сюда, мы тотчас же отправились на карусель[336] я прозвал из-за его простоватого выражения лица и черного одеяния с головы до ног. Через некоторое время мы увидели гарцующую кавалькаду. Это были граф Чернышев с двумя Коновницынами, Симони и двумя конюхами. Князь пригласил их принять участие в состязании. Граф сам сорвал все призы: в колечной игре, в состязании с мячом, шпагой и штандартом. Но он не решился на состязание с пистолетом из-за своей пугливой лошади. Этот малютка граф — прекрасный наездник. Он ездит верхом не хуже своего берейтора. Вечером я играл на бильярде с Кюрхнером.

    ère nuit que j’ai passée à la campagne a été fort agréable. Hier je suis arrivé ici vers 9 heures avec Princesses. En passant près de la porte d’Yakowleff, j’ai fait arrêter la voiture et je suis entré un instant chez lui pour m’excuser de ce que je n’ai pas pu l’attendre dans la journée. J’ai demandé de nouvelles de M-me P… ff. Pas un souffle de vie: il semble qu’on veut nous oub-lier tous les deux. Il est vrai que ma lettre a été un peu dure — mais j’étais outré par l’injustice qu’on m’avait faite. Pouvait-on penser que je me fusse ja-mais permis une action reprochable et m’en écrire sur le ton que si c’était la vérité déjà prononcée? Et qu’ai-je besoin de lire ces maudits chiffons de pa-piers? De quel intérêt sont-ils pour moi?

    ’a reçu avec son amabilité accoutumée. Peu d’instants après les deux princesses sont venues. Nous avons été tous ensemble faire encore un tour jus-qu’à grand canal. J’ai fait à M-me Golowine des compliments de la part des jeunes Dournoff, et elle n’a pas manqué de me demander des nouvelles de M-me Ponomareff. Il y entrait un peu de malice. Je lui ai dit simplement qu’il y a plusieurs jours que je l’aie vue et que je ne comptais pas la revoir de sitôt. Elle m’a fait comprendre que ces disputes ne font que resserer les liens qui nous attachent à l’objet aimé, с ’est de quoi je douta fort, connaissant mieux mon ca-ractère.

    à mon aise. Aujourd’hui nous nous sommes promenés à 9 heures avec le Prince, Madame Golowine et la jeune Princesse. Puis je suis entré un instant chez M-me Golowine pour lui apporter le roman d’Iwangoë que j’ai acheté exprès pour le lui faire lire, car elle m’a tourmenté depuis longtemps en me priant de lui procurer ce plaisir. Sa petite a été charmante: elle est endormie dans sa petite calèche, tandis que je causais avec la maman. M. Gol. m’a dit de paraître avec elle sur le balcon, afin d’éviter mauvaise interprétation qui pourrait bien avoir lieu avec les personnes dont on est ici entouré. J’aime beaucoup le caractère paisible de cette dame, elle rit, elle plaisante, elle ne donne aucune espérance ni permet d’en avoir, et pour-tant on passe son temps auprès d’elle avec beaucoup de plaisir, c’est une espèce d’amitié si ce mot peut être placé pour exprimer les rapports indiffé-rents de deux personnes d’un sexe différent. Je l’ai plaisanté sur son voisinage avec les beaux anglais de la suite de Mylady Chagot; elle m’a raconté qu’il y a deux jours que cette dame l’a comblée d’amitiés et qu’elles roulaient ensemble en calèche sur les Montagnes Russes de la campagne de M-er N, qu’elle l’a invitée à passer chez elle, mais qu’aimant la solitude elle s’y est re-fusée.

    A 8 heures du soir.

    ’ai lu quelques pages de mon Tasso, j’ai eu quelq ues moments de tris-tesse; voilà le domestique qui vient de la part du Prince pour m’inviter au carrousel.

    A 11 heures du soir.

    ’est retiré; je ne veux pas encore dormir; c’est surtout ce temps de réconcillement et de solitude qui me rend à mes tristes réflexions: j’ai été trop gai pendant toute la journée.

    ’est pourtant une jolie chose que ce carrousel avec des calèches at-telées de chevaux: la Princesse Natalie a fait tous les prix: M-me Golowine aussi. J’ai tant sautillé, jasé, ri, qu’on m’aurait pu prendre pour un échappé de la maison jaune. Nous nous sommes ensuite balancés la P. Natalie, Mme Gol…, Mr Sweschnikoff et moi, sur la flotte aérienne et sur la balançoire française que le Prince a imitée du jardin de Tivoli. Le soir j’ai joué deux parties au billard avec Mme Golovine que je lui ai fait gagner et une avec la Prin-cesse Barbe que j’ai gagnée: je donne 15 d’avance à chacune de ces dames. La Princesse Natalie s’est mise au piano, elle a joué et chanté la Ronde du Chaperon et la Romance du Compte Robert de la même pièce, puis La Placida Campagna. Jolie voix, très bonne manière, mais ce n’est pas celles de M-me P… ff: l’âme n’y est pas; j’en ai fait la remarque à Mr Sweschnikoff: il ne re-vient pas du tout ce que je lui dis du bien de M-me P… ff, lui qui aime tant les jeunes femmes. J’aime assez le chantre de M-me Golovine, elle ne surcharge pas sa voix de ce style maniéré et pourtant est agreable.

    à 11 heures du matin.

    A neuf heures la Princesse Natalie m ’a envoyé dire à M-me Golovine de venir la joindre pour aller ensemble au canal de Ligoff: je suis entré chez M-me et je l’ai trouvé toute en pleurs: son enfant se trouve mal depuis cinq heures du matin. Enfin l’enfant s’est un peu pacifié et nous sommes partis, en partie carré, comme je le dis en plaisantant à la Princesse: elle, M-me G., Sw. et moi; Kürchner est parti pour la ville avec le Prince. A moitié chemin du canal de Ligoff nous avons rencontré une dame anglaise à cheval avec un chevalier à côté, qui courraient à tout bride par la grande allée. C’est une des nouvelles connaissances de M-me Golowine. Après une promenade de 4 verstes nous sommes rentrés vers 11 heures. La jeune Princesse a été très aimable et très gaie: elle vient de recevoir une lettre du cmte Zuboff.

    ée s’est passée fort agréablement. A 7 heures le Prince est reve-nu de la ville. Mr. Golovine après avoir fui la partie de boston avec la Princes-se, Sweschnikoff et moi est parti. La Princesse et sa fille sont allées en voitur e, le Prince, K ürchner et Sweschnikoff se promènent à pied, je reste dans le salon avec Md Golovine qui se met au piano. Tout en jouant et en chantant elle me fait subir un interrogatoire; elle plaisante, je veux me fâcher et je ris: les Princesses sont rentrées. La Princesse mère, nous voyant seuls, en a fait une remarque en ricanant: elle nous a apostrophé d’inséparables. Ce mot m’a cho-qué; je me rappelai un mot semblable de Baktine et l’ai envoyé à tous les diab-les. J’ai été un peu confus, et ne me suis remis qu’à bout d’une demi-heure lorsque Md Golovine m’a proposé une partie de billard. Je lui ai dit en riant que cette fois-ci je ne la laisserai pas gagner et lui ai tenu la parole dans trois parties que j’ai jouées avec elle.

    ’est mise au piano; elle a joué et chanté plusieurs airs de Borgondio et même de Catalani avec beaucoup de goût et de justesse; elle a été d’une humeur charmante. Kürchner lui a proposé d’être son maître de chapelle ce qu’elle a accepté. Di tanti palpiti, Ombra adorata, Corne cervo foribondo été très bien exécutés. Kürchner finit par parodier quel-ques paroles des airs et je l’ai aidé. Nous avons fait rire la Princesse, le Prince et tout le monde. La gaieté de Md. Golovine et de la jeune Princesse ont beau-coup contribué à rendre cette soirée fort agréable. La Princesse Barbe n’a pas reparu toute l’après-dîner.

    énéral Prévost de Lamianc arrivé, nous a raconté les nouvelles du jour, comme c’est ordinairement son habitude. Il nous a dit le malheur qui est arrivé à l’acteur Durand dont le bateau a choppé près de Kres-towski ostrow: le pauvre Durand y a perdu un enfant à la mamelle.

    à 9 heures.

    éjeuné, le Prince, le général, M. Sweschnikoff, Kürchner et moi, à 8 heures. Un moment après le Prince est encore parti pour la ville. J’ai vu un moment la P-sse Natalie; elles vont aussi à Kamenny-ostrow chez la maréchale. Le temps m’ayant paru détestable, je pris le parti de rentrer. J’ai écrit une lettre à M. Rousseau qui quitte bientôt Paris pour aller transplanter son embonpoint sur le sol d’Angleterre.

    A 11 heures du soir.

    La soir ée a été assez belle; après le carrousel et la promenade on s’est réuni au salon. J’ai joué au billard avec le Prince. Madame Golovine a chanté en se faisant accompagner par Kürchner qui faisait la grimace en exécutant plusieurs airs des romances françaises. Il a pourtant joué avec plaisir l’accom-pagnement de et la musique du Prince Serge Golitzin pour la romance Je l é avec beaucoup de goût et de sentiment. Il faut que ce Prince Golitzin fût un homme sensible pour avoir composé un air si tendre et qui vient droit au cœur, surtout il est dans un parfait accord avec les paroles. Cette simplicité de sentiment, cette peinture d’un amour qui trouve dans toutes les choses l’objet de sa tendresse, se fait entendre et sentir dans la musique du Prince G. comme dans les vers de <нрзб.> Madame Golovine a aussi chant é plusieurs airs des opéras comiques françaises qui ont rap-pelée au Prince le séjour à Paris: il a été ranimé.

    à 11 heures.

    és avec le Prince et les Dames. La Princesse Nathalie a été d’une très bonne humeur, parcequ’elle a vu la veille des futures belles-soeurs et qu’elle a reçu une lettre du Comte Zouboff.

    La soir ée s’est passée sur la plaine de jeux. Je me suis balancé sur la balançoire à cordes avec la Princesse Natalie: nous même mettions en mouve-ment la balançoire. J’ai saisi cette occasion pour lui parler de son promis. Elle a paru très satisfaite de l’intérêt que je prends à lui.

    à 11 heures.

    ’il ne veut point dîner chez l’Impératrice le jour de gala le 26 juin. Les deux princesses et Md Golovine sont allées chez la maréchale. La princesse Barbe est malade. Elle m’a com-muniqué la lettre de sa sœur qui lui écrit qu’Alexis et son aimable épouse ne sont partis que 4 Juin de Charkoff. C’est Schydlowsky qui en fait part à Savva Martynoff. Le général Prévot boit comme une souche; Sweschnikoff est allé se promener en bateau sous le golfe; Kürchner accompagne le Prusse. J’attends vainement le zélateur Anastacéwitz pour aller avec lui en ville.

    Le Prince est revenu vers 7 heures. Nous avons eu beaucoup de monde dans le jardin d ’en haut. Le Comte Schérémeteff et Mr Simonin ont paru contents de me revoir; je n’ai pas encore été cette année-ci à la campagne du Comte: il m’en fait des reproches. Les deux Miss Simples, toute la famille de Séverine, Lady Bouzot avec son époux; son cousin Cotzeroff. Mr Bainkeur et plusieurs autres anglais; les enfants du Cte Orloff-Dénissoff; ceux du Cte Ko-nownitzin, beaucoup d’étrangers etc. ont peuplé le jardin. On se balançait aux différentes balançoires, on se roulait, on se promenait, et la soirée a été très animée. Nous sommes rentrés à six heures. Immédiatement après souper tout le monde s’est retiré, parce que le Prince s’est levé de très bonne heure et qu’il n’a pas eu le temps de faire sa sieste.

    ’irai en ville, j’irai aussi voir Md Ponomareff. Voyons de quel air je serai reçu.

    Кажется, здесь мне дышится легче. Сегодня в девять часов мы прогуливались с князем, госпожой Головиной и молодой княжной. Потом я зашел на минутку к г-же Головиной, чтобы занести ей роман «Айвенго», который я специально купил, чтобы она смогла его прочесть: она давно уже одолевала меня просьбами доставить ей это удовольствие. Малышка ее была прелестна; она заснула в своей колясочке, пока я разговаривал с маман. Г-жа Головина попросила меня появиться с ней на балконе, дабы избежать кривотолков со стороны окружающих нас здесь людей. Мне очень нравится спокойный характер этой женщины, она смеется, шутит, сама она не подает никакой надежды и не разрешает ее иметь, и тем не менее с ней проводишь время с большим удовольствием; это вид дружбы, если это слово может быть употреблено для обозначения безразличных отношений между представителями различных полов. Я подшутил над ней по поводу соседства двух красивых англичан из свиты миледи Шаго; она рассказала, что два дня назад эта дама проявила к ней чрезвычайно дружественное расположение: вместе они катались на Русских горках на даче у г-на Нарышкина, миледи приглашала ее к себе, но, любя одиночество, г-жа Головина отказалась.

    8 часов вечера.

    Все разошлись, я не хочу еще спать; это время успокоения и одиночества отдает меня во власть грустных размышлений: мне было слишком весело в течение всего дня.

    — карусель с колясками, запряженными лошадьми; княжна Натали выиграла все призы, г-жа Головина тоже. Я столько прыгал, болтал и смеялся, что меня можно было бы принять за сбежавшего из желтого дома. Потом мы вместе с гном Свешниковым качались на подвесных лодках[337] и на французских качелях, которые князь построил по образцу качелей Тивольского парка. Вечером я сыграл две партии на бильярде с г-жой Головиной, которая выиграла, и княжной Варварой, у которой выиграл я: обеим дамам я даю 15 очков фору. Княжна Натали села за фортепиано, она сыграла и спела рондо дуэньи и романс графа Роберта из этой же оперы, затем La Placida Campagna. Прекрасный голос, чудесная манера исполнения, но это не г-жа П…ва: души в этом нет. Я сказал об этом г-ну Свешникову, но он совершенно не откликнулся на те лестные слова, которые я произнес в адрес г-жи П…вой, — он, который так любит молодых женщин. Мне вполне нравится пение г-жи Головиной, она не насилует своего голоса изощренным исполнением и тем не менее приятна.

    утра. Наконец ребенок немного успокоился, и мы пошли на увеселительную прогулку парами, как я шутя назвал ее в разговоре с княжной: она, г-жа Г., Свешников и я; Кюрхнер уехал в город с князем. На полдороге к Лиговскому каналу мы встретили англичанку верхом в сопровождении кавалера, они скакали во весь опор по большой аллее. Это одна из новых знакомых г-жи Головиной. Пройдя 4 версты, мы вернулись домой к 11 часам. Княжна была очень мила и весела: она только что получила письмо от графа Зубова.

    11 часов вечера.

    Вечер прошел очень мило. В 7 часов князь вернулся из города. Г-н Головин, отказавшись от партии в бостон с княгиней, Свешниковым и мной, ушел. Княгиня с дочерью отправились на прогулку в карете, князь, Кюрхнер и Свешников прогуливались пешком, я остался в салоне с г-жой Головиной, которая села за фортепиано. Во время пения и игры она подвергла меня допросу, она шутила — я хотел рассердиться, но рассмеялся; в это время княгиня с княжной вернулись. Княгиня, заметив нас одних, обратила, подсмеиваясь, на это внимание, назвав нас неразлучными. Эти слова меня неприятно поразили; я вспомнил подобные же, произнесенные Бахтиным, и послал их ко всем чертям. Я почувствовал себя смущенным и оправился лишь через полчаса, когда г-жа Головина предложила мне сыграть партию на бильярде. Я смеясь сказал, что на этот раз не позволю ей выиграть — и сдержал свое обещание в трех партиях, которые мы с ней сыграли.

    Di tanti palpiti. Ombra adorata. Corne cervo fo-ribondo и т. д. и т. д. были великолепно исполнены. Под конец Кюрхнер стал пародировать слова некоторых арий, я его поддержал. Мы насмешили князя, княгиню и всех остальных присутствовавших. Веселость г-жи Головиной и княжны во многом способствовала тому, что вечер удался. Княжна Варвара не появлялась с обеда.

    острова: бедный Дюран потерял при этом грудного младенца.

    17 июня, 9 часов.

    была отвратительная, я решил вернуться домой. Я написал письмо г-ну Руссо, который вскоре покидает Париж, дабы переселить свое упитанное тело на английскую почву.

    Вечер был довольно хорош; после каруселя и прогулки все собрались в гостиной. Я играл на бильярде с князем. Г-жа Головина пела под аккомпанемент Кюрхнера, который морщился, исполняя мелодии французских романсов. Тем не менее он с удовольствием исполнил аккомпанемент Per una sola fila и музыку князя Сергея Голицына на романс , который г-жа Г. исполнила с большим вкусом и чувством. Видимо, этот князь Голицын был человеком весьма чувствительным, сочинив нежную мелодию, так много говорящую сердцу, тем более, что она еще и идеально соответствует словам. Эта простота чувства, изображение любви, которая во всем находит предмет своего обожания, ощущается, слышится в музыке князя Г., как и в стихах <нрзб.> Госпожа Головина спела множество арий из французских комических опер, которые напомнили князю о его пребывании в Париже; он был оживлен.

    Вечер прошел на спортивной площадке. Я качался на веревочных качелях с княжной Натали, мы даже раскачали качели. Я воспользовался случаем, чтобы поговорить с ней о ее женихе. Кажется, она была весьма довольна тем интересом, который я проявляю к нему.

    своей сестры, которая пишет, что Алексей и его милая супруга лишь 4 июня выехали из Харькова. Об этом сообщил Савве Мартынову Шидловский. Генерал Прево пьет мертвую, Свешников отправился на прогулку на лодке под парусом; Кюрхнер сопровождает пруссака. Я тщетно ожидаю соревнователя Анастасевича, чтобы поехать вместе с ним в город.

    В 10 30 вечера.

    Симплз, вся семья Северина, леди Бузо с супругом, ее кузен Кочеров, г-н Бэнкер и другие англичане; дети графа Орлова, Денисова, графа Коновницина, много иностранцев и проч. заполнили сад. Качались на различных качелях, катались, гуляли, вечер был очень оживленным. Вернулись мы в шесть часов. Сразу же после ужина все разошлись, так как князь встал рано и у него не было времени отдохнуть после обеда.

    à 11 heures du matin.

    J’étais arrivé en ville lundi à 11 heures. J’ai passé tout de suite chez No-roff, mais il était déjà sorti. J’ai passé ensuite à la banque d’amortissement et j’y suis resté plus d’une heure avec Mr Golovine. En sortant de la banque, j’ai été voir ce qui se fait chez Sleunine. Rien de nouveau. J’ai dîné chez Mr. Golo-vine, où nous n’étions que deux. Instantanément — après dîner, je suis allé chez M-me Ponomareff, pour voir quel accueil l’on me ferait. Je l’ai trouvée prête à se mettre à table, avec son époux, son frére et Panaïeff. Ell m’a fait l’accueil assez froid d’abord mais dans la suite nous nous sommes raccomodés. Ce n’est pas que je ne lui aie fait une petite reprimande pour le billet qu’elle m’avait écrit; elle a demandé à voir ce billet et l’a déchiré. Je me suis mis à ge-noux devant elle, je lui ai demandé pardon pour la lettre que je lui ai écrit à ce sujet, en la suppliant de la déchirer aussi, mais elle m’a repondu qu’elle la garderait comme toutes les autres qu’elle tient de moi. Je n’ai pas insisté da-vantage, mais je lui ai dit que je suis désolé d’avoir perdu son billet, parcequ’il était le seul que j’ai eu le bonheur de recevoir d’elle. Elle m’a dit de ne pas désespérer d’en avoir d’autres. J’ai été très gai, même trop gai, sur quoi son frère m’a fait la remarque m’ayant dit qu’il ne connaissait personne qui soit plus que moi garçon sans souci. Comme c’était le jour des fiançailles de sa sœur avec Mr Andreyeff Madame m’a prévenu qu’ils devaient y aller; et moi, ayant vu que Pa-naïeff doit être aussi du bal, je suis parti de bonne heures. J’ai voulu faire une visite à l’aide de camp, Dournoff, mais je ne l’ai pas trouvé au logis, ni son frère.

    ’ai donc été obligé de rentrer chez moi, par la grande pluie, qui m’a mouillée presque jusqu’aux os. N’importe, j’ai eu quelques moments agréables.

    Je ne sais si je pourrai tenir ma promesse à Md de venir passer la journée de mercredi chez elle; je le ferai volontier, si rien n’empêche.

    à 11 heures du matin, Mercredi.

    ée est superbe. Le Prince est allé en ville. Je voudrais aller dîner chez le Comte Pouchkine, mais comme on dit que nous aurons du monde aujourd’hui, je veux bien rester à la maison.

    Nous avons eu à dîner Mrs Toumansky et Golovine. Mr Anastacéwitz est aussi venu. A 7 heures la Princesse Anne Scherbatoff avec ses deux filles, le Prince Dmitry, Mrs Moreau et le Docteur Rosemann, étant venus, on a été au carrousel. Le cheval du Prince se cabra et manqua de renverser le cabriolet où se trouvait le Prince avec la Psse Natalie qui criait de toutes ses forces. Je suis accouru dans l’arène et lui ai présenté la main pour l’enserrer du cabriolet. Heureusement il ne lui est arrivé rien de fâcheux. Puis nous nous sommes pro-menés en bas sur l’étang du jardin avec le Prince Dmitry, nous nous sommes balancés, etc.

    ’eau. Hier les trois jeunes Comtes Ko-nownitzin se promenaient en bateau sur la pièce d’eau du jardin de Kra <нрзб.>. Le père était sur le bord. Tout à coup le bateau a chaviré et les jeunes gens s’enfoncent dans l’eau. Le père les voit tomber et ne peut les secourir.

    Ce 30 Juin à 7 heures du matin.

    ête du Prince s’est passée d’une manière assez [338] — quille. Le matin il a reçu les visites et félicitations ses connaissances de voisinage. Nous avons eu aussi es personnes à dîner. Le Comte Orloff-Denisoff été, ainsi qu’Alexis avec toute la famille Metschnikoff, après 7 heures presque tout le de est parti. La maigre mine de la Psse les a dispercés. <…> l’anniversaire de l a naissance de la princesse Natalie: aurons beaucoup de monde le soir, de la musique; jeux seront en mouvement etc. etc.

    à 7 heures du matin.

    Homo proponit, et deus disponit. é cependant à croire que le bon Dieu ne se mêle point de tous les vains projets de l’homme, tels que ses fêtes, rejo-uissances etc. et qu’il a créé, exprès à cet effet, une fatalité qui est presque tou-jours là pour contrecarrer les plaisirs et les jouissances que l’homme se promet.

    ée d’hier a été très pluvieuse: il n’y a presque pas eu de beau temps. J’ai félicité la Psse Natalie chez son papa, à 9 heures du matin. Vers une heure d’après midi je suis venu chez la Psse mère: je trouve la jeune Psse sur la terrasse et lui demande si Md sa chère maman voudrait bien recevoir mes félicitations et hommages. Elle entre chez elle, reparaît et me dit que je serais le bienvenu, c’est à quoi je ne m’attendais guère, sachant que la Psse fut la veille continuellement occupée d’Alexis et de sa charmante épouse, ce qui n’a pas dû contribuer à la disposer en ma faveur. J’ai été d’autant plus surpris de l’accueil gracieux, qu’elle m’a fait; elle m’a parlé plus d’une demi heure avec un sourire plein de grâces qui ne lui est pas toujours propre. Après maints quolibets coup sur coup renvoués par S. Exell. la Psse, moi et une tierce personne qui était la Psse Natalie, car nous n’étions que trois, j’ai pris congé d’elles, et je suis rentré pour faire ma toilette.

    С нами обедали г-а Туманский и Головин. Г-н Анастасевич также пришел. В 7 часов приехали Анна Щербатова с дочерьми, князь Дмитрий, г-н Моро и доктор Роземан и все отправились на карусель. Лошадь князя встала на дыбы и чуть было не опрокинула кабриолет, в котором находились князь и княжна Натали, кричавшая изо всех сил. Я поспешил в манеж и подал ей руку, чтобы вызволить ее из кабриолета. По счастью, ничего страшного с ней не произошло. Потом мы с князем Дмитрием прогуливались на лодке по пруду нижнего парка, качались на качелях и проч.

    <нрзб> парка. Отец был на берегу. Внезапно лодка перевернулась и молодые люди оказались под водой. Отец видел, как они падали, и не мог их спасти.

    30 июня, 7 часов утра.

    а также Алексей со всем семейством Мечниковых; после 7 часов почти все разошлись. Кислое выражение лица княгини их распугало *… день рождения княжны Натали, у нас будет много народу вечером, музыка, игры и т. д. и т. д.

    [339]. Я склонен, однако, думать, что Боженька не вмешивается во все пустые помыслы человека, такие, как празднества, увеселения и проч., проч., и что он создал специально для этого провидение, почти всегда готовое помешать удовольствиям и радостям, на которые надеется человек.

    спрашиваю, сможет ли г-жа ее любезная матушка принять мои поздравления и свидетельства глубокого почтения. Она входит к ней, вновь появляется и говорит, что меня с радостью ждут, — то, на что я вовсе не рассчитывал, зная, что накануне княгиня была постоянно занята Алексеем и его очаровательной супругой, а это не должно было расположить ее в мою пользу. Тем более я был удивлен ласковым приемом, который она мне оказала; она разговаривала со мной более получаса с милой улыбкой, которая ей не всегда свойственна. После множества шуток, которыми мы обменялись с княгиней и еще одним присутствующим лицом, которым была княжна Натали — ибо мы были втроем, — я попрощался с ними и вернулся к себе, чтобы переодеться и привести себя в порядок.

    œur devrait être déchiré. Mille fois j’étais sur le point d’aller me précipiter, voler à vos pieds, mais un génie ennemi me suscitait toutes les fois quelques fâcheu-ses contrariétés, quelque circonstance qui venait là-dessus près pour déjouer mes resolutions. Pour comble d’infortune, le Prince s’étant demis le pied de-vait garder la chambre et moi son compagnon dans les affaires et dans les ad-versités, je devais rester cloué au chevet de son lit. Enfin je saisis la première occasion favorable qui se fût présentée, je cours, je vole me prosterner devant ma souveraine et lui réitérer foi et hommages jurés tant de fois et si sincère-ment.

    Ne croyez pas cependant, Madame, que cette cruelle absence e ût dimi-nué, affaibli les sentiments dont mon âme pour vous est remplie! Eloigné de vous, peut-être oublié, effacé de votre souvenir, mes plus chères pensées, cel-les que je caressais le plus dans mon imagination vous furent toujours con-sacrées; je ne vivais, ne respirais que dans l’avenir, que dans l’èspérance de pouvoir un jour vous les transmettre. Eloigné de vous, j’étais sans cesse en-touré de votre image; je ne lisais que les ouvrages dont nous avons parlé ensemble, que ceux que vous avez eu la bonté de me prêter. Je suis devenu plus dévot, je prie le bon Dieu avec fureur deux fois par jour et c’est afin de pouvoir redire plus souvent votre nom que j ’ai placé dans mes prières. Vous pouvez bien deviner que votre image est alors l’ange tutelaire qui volage autour de ma <нрзб.> et si je desirais voir celui qu e le bon Dieu m’avait donné à ma nais-sance, j’aurais voulu qu’il m’apparût sous vos traits: je l’adressais, je l’en aimerais davantage. J’aime ici la solitude: c’est alors que je suis seul avec vous. Je m’imagine encore d’être auprès de celle que j’adore, j’admire ses grâces, ses talents, son amabilité, je me la représente sous tous les aspects, sous toutes les formes, avec cette variété d’humeur qui la caractérise. Tantôt je crois la voir rire, j’écoute ses babils aimables et enjoué, où l’esprit perce tou-jours à travers le voile de la gaieté dont elle veut le cacher, tantôt je l’entends chanter ces airs que j’aime tant et qu’elle embellit de sa voix; je deviens tout ouïe, je n’ose plus respirer, je crains de perdre le moindre son, la moindre inflexion de sa voix. Tantôt je l’entends raisonner, parler de la littérature, avec ce goût pur, cette justesse du tact juste qui lui sont naturel. Tantôt je suis ab-sorbé dans la contemplation de ses perfections extérieurs, rien ne m’échappe alors: cette figure noble et spirituelle, ces traits qui ont pour moi la régularité d’un beau idéal, cet heureux accord de la beauté et des grâces, ce sourire plein d’appâs, ces yeux dont le feu embrasse le témeraire qui ose les fixer, cet-te blancheur éclatant du teint, cette peau si tendre et si mince, ce joli pied si élégant, que les Grâces elles-mêmes avaient moulé sur modèle, ce beau sein, ce sein, le trône de l’amour et de la volupté… mes yeux croient se promener, caresser tous les contours de ce coprs enchanteur, mon imagination m’entraine, m’égare, je m’enflamme, je brûle, je m’anéantis par l’excès de mes sensations si cuisantes, de mes rêves si séduisantes!..

    ’elle est triste, cette réalité que je vois autour de moi lorsque j’ose descendre sur la terre après avoir quitté ces belles régions des illusions où mon imagination m’emporte! Je me vois seul, dans le désert, les beautés de la nature ne font sur moi aucune impression et celui de l’art moins encore.

    Je vous ai dit une fois, Madame, que j ’ai souvent des idées qui parais-sent n’avoir pas le sens commun. Ici, loin de vous, c’est encore pire. Voici quelques une de ces aberrations d’une imagination effrénée qui cherche à tra-vailler dans l’absence d’une réalité plus douce. Je fais des reproches à la nature, à ma malheureuse étoile non pas déjà de ne m’avoir pas fait beau et bien-fait, mais de ne m’avoir pas créé laid et difforme. En voilà la raison: vous se-riez d’abord rebutée par mon extérieur, puis vous auriez comparé vos perfections avec ma difformité, vous auriez été frappée par le contraste, vous auriez dit: pourquoi cet être est-il si laid tandis que je suis si belle? pourquoi doit-il rebuter tout le monde tandis que j’attire… et vous m’auriez plaint: et dans la plainte de vous est encore un bonheur plus grand du moins que de vous être tout-à-fait indifférent… Vous auriez peut-être voulu me consoler mon triste sort et ce serait déjà une jouissance!.. Ah! veuillez me consoler de aussi d’une similitude de l’espérance, veuillez pénétrer dans le fond de mon cœur, y lire l’amour qu’il vous porte et alléger le poids qui le pèse! Mes souffrances deviendraient autant de félicités à proportion que vous daignerez croire à la sinc érité de mes sentiments, de ces <нрзб.> que je ne saurais mieux peindre qu’en répé tant sans cesse

    à vous pour l’éternité

    ût 1821.

    Me voil à rapproché des lieux que vous habitez. Madame! j’ai quitté la brillante campagne pour me réinstaller de nouveaux sous l’humble toit qui me sert d’abri à Petersbourg. Que de plaisirs, que de dissipations me promettait le séjour de la ville! Mes amis, Schydlowski et Toumansky sont de retour, St. Thomas est là pour me conter ses aventures d’Italie et d’Espagne, pour me rappeler sa belle patrie et de me tanner de temps en temps des bordées de calembourgs et de jeux de mots. La douce amitié va dorénavant rouvrir ses bras pour me rece-voir: en sera-t-il autant de l’amour? — Non! mon cœur me le dit et ce prophète, bien qu’il ne fût consolent, ne m’a jamais trompé. C’est une triste chose que l’espérance qui ne voit point de terme à ses atteints: on aime à se nourrir des vains illusions qui s’évanouissent au moindre souffle de le réalité, et c’est alors que le cœur gémit de voir disparaître les douces erreurs dont il était berié.

    * * *

    être en toutes choses la boussole de la mienne. Dans mes lettres suivantes je prendrai la liberté de vous entretenir sur la littérature Russe, sur la littérature de notre langue maternelle; ce sujet ne peut pas vous paraître ennuyeux, Madame, à vous, qui aimez les productions de nos poètes et de nos prosateurs. Je me promettrai donc d’y énoncer mes sentiments sur chacun de ceux de notre temps qui se sont acquis une sorte de célébrité. Mais je vous prie, Madame, de m’éclairer par vos observations, de m’aider par votre lumière: je m’en rapporterai toujours à votre jugement si sain, à votre tact si juste, à votre goût si pur. Espérant d’avance en votre indulgence, je dépose à vos pieds l’hommage des sentences d’amour et d’adoration, dont mon cœur est rempli pour vous, Madame, pour vous qui êtes mon idéal de tout ce qui est beau, de tout ce qui est sublime.

    Tout à vous pour la vie

    écrire une réponse à la lettre de Madame Rousseau et la remettre à Monsieur Leclerc ou à Mr Labinsky pour la lui faire passer.

    336. В дневниковых записях этого периода Сомов постоянно упоминает садовые увеселения: разного рода качели и, в особенности, карусель. Особый интерес к ним Сомова неслучаен. Еще год назад, будучи за границей, он подробно описывал в письмах к А. Е. Измайлову празднества и народные гуляния во Франции и Австрии (см.: «Праздник в саду Тиволи (письмо к издателю „Благонамеренного“ из Парижа)» // Благонамеренный, 1820. № 13). Термин «карусель» к 20-м годам XIX века обладал двумя основными значениями: карусель как вид конного состязания, игрища, и карусель как кружильное устройство. Причем для обозначения конной игры слово употреблялось чаще в мужском роде (см.: «Ода на великолепный карусель…» В. Петрова, «О каруселях» В. Л. Пушкина), а для обозначения катального устройства — в женском роде. В имении, где жил Сомов, судя по всему, имелись обе разновидности карусели (каруселя). В данной записи Сомов, конечно же, имеет в виду карусель конный. Обычно такой карусель совмещал в себе игровую сторону со зрелищной (классическим образцом каруселя в России был карусель, данный Екатериной II в 1766 году). Участники, одетые в маскарадные платья и представлявшие разные народности: славян, индейцев, турок и т. д., разделялись на четыре группы — кадрили. Скача верхом на лошади с большой скоростью по кругу, они должны были при этом продемонстрировать свою ловкость в так называемых карусельных играх. Наиболее распространенной была «колечная игра» (jeu de bague). Целью ее было поддеть на полном скаку копьем или шпагой кольцо, подвешенное, укрепленное, либо лежащее на земле. Существовали и игры следующего рода: всадник на всем скаку должен был вонзить шпагу, меч или копье в специально поставленное чучело (вариант: разрубить чучело); на полном скаку попасть мячом в сетку или корзину, подвешенную в центре ристалища, и т. д. Все эти игры упоминает Сомов, хваля наездническое мастерство графа Чернышева. В отличие от конного каруселя, карусель как кружильное устройство была излюбленным развлечением прежде всего для дам. Живые лошади в такой карусели заменялись деревянными фигурками коней, располагавшихся на концах горизонтальных шестов, серединой насаженных на бревноось. Шесты приводились в движение слугами. Возможна была и иная конструкция: деревянные лошадки располагались на «ходячем круге», составлявшем центральную часть восьмигранного помоста. На нем размещались коляски для дам (одноколки), обитые сукном, «запряженные» деревянными «коньками» с натуральными гривами и хвостами и седлами часто из алого сукна. Верхом, либо в колясках, так же, как и в настоящем конном ристалище, можно было участвовать в карусельных играх-состязаниях: колечной игре, состязании с мячом, копьем, шпагой и др. (см.: )

    érienne — подвесные лодки, или флот, имевший некоторое сходство с каруселью. «Качающиеся на них сидят вместо кресел в лодочках, украшенных флагами разных цветов: круг, на котором лодочки сии оборачиваются, устроен наклонно к земле, и на нем сделаны местами то углубления, то возвышения, так что лодочки в самом деле как бы плавают но волнам» (Благонамеренный, 1820. № 13. C. 34 — ).

    338. Край письма оборван. В скобках предположительно восстановлены утраченные части слов.

    лат.).

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